L’allemand, c’est dur. Le néerlandais, c’est pire.

Le néerlandais, c’est un peu comme quand on a des glaires. Une langue qui va chercher les R dans l’arrière du palais. Une langue dont on a envie de proposer à celui qui la parle de cracher… pour se libérer. Parler néerlandais c’est avant tout savoir racler.

A l’hôtel on regarde une émission et on a l’impression d’avoir oublié de brancher le décodeur canal plus. Deux heures plus tard on a compris un mot « perspectiv ». Le néerlandais c’est aussi la langue des mots trop longs ! Utiliser le frein à moteur se dit « motorbremsem » ou un truc comme ça.

Des groupes de garçons passent sur les canaux dans des bateaux pleins de musique et de bières. Suivis par des embarcations pleines de musiques et de filles déguisées. Ça sent les enterrements de vie de célibataires. La variante terrestre est un bar roulant. Un camion fût de bière qui fait penser à une caisse à savon géante. Une voiture à pédale customisée par de grands enfants. Une dizaine de personnes peuvent s’y installer et consommer en pédalant perpendiculairement à l’avancement. Un conducteur et un barman complètent la fine équipe.

Les murs sont de briques et les maisons un peu branques. Certaines sont penchées vers l’avant comme Michael Jackson. Les façades tracent vers le ciel en oubliant parfois de s’arrêter au toit ce qui donne des allures de décor de cinéma en carton pâte. En haut des frontons, des potences soutiennent des esses de boucher. Ils attendent patiemment le prochain déménagement et justifient la bizarre inclinaison des façades. On a l’impression qu’à tout moment elles peuvent décrocher et commencer une partie de domino cascade.

En attendant d’aller manger sur une house boat (C’est comme un love boat mais version maison flottante et sans le capitaine stubbin), on rentre dans un bar de quartier. Il ressemble à une brocante. Inventaire non exhaustif :

- Des statuettes dont des matriochkas en forme de Johnny Walker ;

- Des peintures et des photos de chien dont certains jouent aux cartes dans une scène tout droit sortie des affranchis ;

- un jeu de dames ;

- une statuette japonaise ... ou bien est-ce une péruvienne ?

- L’avant d’une Alfa Roméo ;

- la casquette bleue et blanche d’un club de quartier, probablement celui du fils du patron ;

- des accordéons, une guitare sèche et électrique et un violon qui pendent du plafond ;

- quelques affiches jaunies de pin-up et de concerts de quartier Jordaan.

- un écran plat au mur (Phillips évidemment) qui dénote avec le reste du bric à brac … une déco construite en 20 ans.

Et un billard sans trous où trois hommes d’âge mur se remplacent pour faire bouger trois boules dont deux blanches. Le patron les regarde les bras croisés d’un œil désintéressé. Ils s’échangent quelques mots de temps à autre. Ils ne manifestent pas de joie particulière quand ils marquent un point ce qui fait que je n’ai toujours pas compris le but du jeu. On entend le temps qui passe. Les trois hommes pourraient chacun servir de personnage dans un roman tant ils sont différents.

Le premier est petit et a des cheveux blancs. Il porte des lunettes et une chemise blanche à carreaux rentrée dans un jean levi’s. Distingué, presque Anglais.

Le deuxième a des cheveux blonds qui attendent le blanc, une chemise à manches courtes et une montre qui brille au poignet. Casanova il y a peu de temps encore. Sévère, presque allemand.

Le troisième cache sa bedaine sous un gilet en laine rouge posé sur une chemise à manches courtes dont les rayures verticales ne parviennent pas à le rendre plus mince. Mèche grise décalée côté gauche. Calvitie sur le dessus. Beauf, presque Lensois.

On doit faire partie du maigre contingent de touristes qui ne sont venus ni pour les vitrines, ni pour les coffee shop. En clair : ni pour les putes, ni pour le shit. Alors vous êtes venus pour les tulipes … bah non. Pour le gouda ? Non plus ! Pour les moulins alors ! Guère plus. On est venu pour les vélos et les canaux !!!

Dans le musée Van Gogh, le deuxième Vincent le plus connu au monde, deux expertes discutent :

Déçue : « les couleurs sont quand même vachement ternes »

Vaguement critique d’art : « oui mais c’est parce qu’il devait être dans une période terne ! ».

Visiblement désabusée : « faut croire que ça plaît quand même ! »

Analyste d’art : « ouais enfin faut être quand même sacrément dérangé pour peindre un truc pareil ! »

Plus loin dans une autre salle : « Ah ben voilà c’est quand même plus gai ! »

En sortant du musée, on passe devant un concert de … reggae sponsorisé par … le musée du cannabis.

Dans le centre ville, il nous faut quasiment une échelle pour monter au restau crêpe. On mange dans de la dînette en porcelaine. Quand on ne squatte pas les restaus, on se fait quelques cornets de frites. A la belge.

Un tram’ assez moche serpente dans une ville qui le boude. La faute aux vélos qui ont le monopole du déplacement. La multinationale du moyen de transport. Si bien que les flyers et les publicités s’accrochent au guidon plutôt que de se glisser sous l’essuie-glace. En vélo de grand-mère, en VTT, en triporteur ou en tandem, les vélos sont partout. Les canaux aussi. Et les deux ne sont pas compatibles. On y repêche malgré tout plusieurs tonnes de vélos chaque année. A travers les canaux, l’eau s’infiltre dans la ville comme une toile d’araignée. Les péniches sont aplaties. Elles semblent baisser la tête pour passer sous les ponts.

C’est juste un p’tit moment de bonheur de se balader avec notre vélo jaune. De monter sur le dos des ponts pour glisser au dessus des canaux. Un pont rappelle celui d’un tableau de Van Gogh … peint à Arles dans le sud de la France. Même si on a l’air de vrais touristes avec nos vélos colorés du plus grand loueur de vélos de la capitale. On freine en reculant. A la néerlandaise. Les rayons tambourinent dans un bruit métallique. Je fais teinter la sonnette. Comme un gamin. J’ai jamais eu de sonnette sur mes VTT. A côté de la gare, un parking à vélo sur trois étages. Le plus grand d’Europe selon les dépliants. Une pluie de pétales séchés tourbillonne dans le vent comme dans une boule de Père Noël. Ça colle aux vélos. Pluie de pétales sur les pédales.

Amsterdam 2009

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